Par Christian SPILLMAN
ROME (AFP) – Les petites villes de Meda et de Seveso, près de Milan, ont pansé leurs blessures et enseveli leur monstre, mais trente ans après la catastrophe causée par le nuage de dioxine, l’Italie est toujours la proie des pollueurs et des trafiquants de déchets toxiques.
Stefania Senno avait 3 ans le 10 juillet 1976. Elle jouait sur le balcon de la maison familiale à Meda, distante de quelques centaines de mètres des bâtiments de la société Icmesa, lorsque l’explosion s’est produite.
Elle a été enveloppée par le nuage toxique qui s’est répandu sur Meda, Seveso et plusieurs communes limitrophes, contaminant une région habitée par près de 100.000 personnes à 20 km de Milan, la capitale de la Lombardie.
Quelques jours plus tard, son visage était défiguré, rongé par les plaies. L’image de la petite fille hurlant sous la douleur à fait le tour du monde et est devenue le symbole de l’une des plus graves catastrophes industrielles et environnementale en Europe.
Pour les habitants de Meda, l’Icmesa, société du groupe suisse Givaudan (racheté par la multinationale Hoffman-LaRoche), fabriquait des parfums et des cosmétiques. Mais le nuage rejeté par l’explosion contenait de la Dioxine, un agent toxique à l’époque mal connu.
L’accident n’a pas fait de morts, mais 193 personnes, essentiellement des enfants, ont été atteintes de chloracné, une grave maladie de la peau.
Stefania Senno a aujourd’hui 33 ans et vit près de Trevise. Elle a accepté de se laisser photographier par le magazine Gente. Malgré quatre interventions, son visage porte encore des traces des ravages causés par la Dioxine.
Les opérations de décontamination ont pris dix ans. Les maisons ont été détruites, les terrains raclés et tous les matériaux contaminés enfouis dans deux immenses sarcophages en ciment armé. Le premier “cimetière de la dioxine” se trouve sur le site de l’usine, transformé en parc avec un étang. L’autre est proche de l’autoroute Milan-Meda. Les deux sites sont constamment surveillés.
Personne n’a été condamné pour l’accident de l’Icmesa. La catastrophe a pourtant eu une suite. Six ans plus tard, au mois d’août de l’année 1982, le réacteur de l’usine a été vidé de son contenu et des déchets chimiques contaminés par la dioxine transférés dans 41 fûts, envoyés à l’usine Ciba de Bâle, en Suisse, pour être incinérés.
Mais passés la frontière italienne à Vintimille, ils ont été “perdus”. Ils seront retrouvés un an plus tard, en mai 1983, dans un abattoir désaffecté à Anguilcourt-le-Sart, dans le nord de la France, et seront incinérés chez Ciba en novembre 1985.
La “disparition” des fûts toxiques de Seveso n’est pas un cas isolé. Entre 350.000 et 400.000 tonnes de déchets dangereux se sont volatilisés en 2005 en Italie et les différentes mafias du pays sont impliquées dans ce trafic, a révélé en mai l’association italienne de défense de l’environnement Legambiente.
Le nouveau Parlement à majorité de gauche élu en avril a approuvé début juillet la constitution d’une commission d’enquête sur les déchets.
“C’est un premier pas pour affronter les +Ecomafia+, mais il faut rapidement arriver à introduire dans le code pénal italien le délit contre l’environnement”, a déclaré le président de Legambiente, Roberto Della Seta.
“Le business du trafic illégal des déchets a représenté un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros en 2005 et il est en expansion”, a-t-il souligné.
“C’est un véritable réseau: pour ne pas avoir à subir le coût du traitement, l’entreprise qui produit des déchets va faire appel à une société illégale. Celle-ci procède alors de différentes manières: soit elle enfouit les déchets sous terre, soit elle les brûle carrément en plein air, en mêlant par exemple des solvants à des amas de pneus ou de vieux vêtements”, explique Legambiente.