Le 8 décembre 2006 a été adoptée une nouvelle circulaire relative à la mise en conformité de la collecte et du traitement des eaux usées des communes soumises aux échéances des 31 décembre 1998, 2000 et 2005 en application de la directive n°91/271/CEE du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux résiduaires urbaines, publiée au Journal Officiel le 20 janvier 2007. Elle vise à accélérer la mise en place de systèmes de collecte et de traitement des eaux usées appropriés, afin de se mettre en conformité avec le droit communautaire et d’éviter ainsi de payer une amende et des astreintes très élevées pour les manquements de la France à ses obligations au titre de la directive 91/271/CEE (1).
C’est un fait, depuis une quinzaine d’années la France est à la traîne en ce qui concerne la mise en œuvre de la directive européenne du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (dite directive ERU), qui fait obligation aux Etats membres de l’UE de mettre en place des dispositifs de traitement des eaux usées pour les agglomérations de plus de 2000 équivalents habitants (EH). Au plan national, le droit confie aux communes — ou collectivités au profit desquelles ont été transférées leurs compétences en matière d’assainissement (EPCI…) — la charge de faire construire et de faire fonctionner de façon satisfaisante des systèmes de collecte et de traitement de nos eaux usées. Les articles 3 et 5 de la directive ERU prévoyaient des échéances échelonnées :
- au 31 décembre 1998 pour les agglomérations dont les EH sont supérieurs à 10 000 et qui rejettent leurs eaux résiduaires dans un milieu récepteur considéré comme “zone sensible” ;
- au 31 décembre 2000 pour les agglomérations dont les EH sont supérieurs à 15 000 et ;
- au 31 décembre 2005 pour les agglomérations dont les EH sont compris entre 2000 et 15 000.
Force est de constater que l’objectif est loin d’être rempli, puisqu’on estime que 20% des collectivités ne se seraient pas, à ce jour, mises en conformité. La France a d’ailleurs été condamnée par la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) pour sa mauvaise application de la directive (CJCE, 23 septembre 2004, Commission c. France – sur la non-application de ses obligations de traitement plus rigoureux des eaux usées lorsque le milieu récepteur est une zone sensible ; CJCE, 16 juin 2005, Commission c. France – sur la non-communication d’informations sur la surveillance des rejets et des boues résiduaires pour ce qui concerne les agglomérations visées par l’échéance du 31 décembre 1998) puis mise par deux fois en demeure de s’exécuter.
La France a pourtant adopté une règlementation en ce sens : l’art. 35 de la loi sur l’eau de 1992 prévoyait que “Les communes prennent obligatoirement en charge les dépenses relatives aux systèmes d’assainissement collectif, notamment aux stations d’épuration des eaux usées et à l’élimination des boues qu’elles produisent, et les dépenses de contrôle des systèmes d’assainissement non collectif. Elles peuvent prendre en charge les dépenses d’entretien des systèmes d’assainissement non collectif”. Un décret du 3 juin 1994 relatif à la collecte et au traitement des eaux usées mentionnées aux articles L. 372-1-1 et L. 372-3 du code des communes précisait plus en détail les obligations des communes et autres collectivités compétentes en matière de traitement des eaux usées, en application de la directive ERU (2).
En outre, une circulaire du 3 mai 2002, que la nouvelle circulaire du 8 décembre 2006 remplace, avait déjà pour objectif de rectifier le tir car la Commission européenne avait saisi en novembre 2001 la CJCE pour lui faire constater la mauvaise application de la directive ERU. La circulaire demandait aux préfets d’envoyer une lettre de rappel aux communes et autres collectivités compétentes en infraction, assortie d’un délai d’exécution. A défaut d’exécution dans le délai fixé, les préfets devaient mettre en demeure les communes ou groupements de communes (ou leurs délégataires), en application de l’art. L 216-1 du Code de l’environnement dans la version à l’époque en vigueur.
La collectivité compétente ou son délégataire encourait des sanctions administratives et pénales si elle ne déposait pas dans le délai fixé une demande d’autorisation pour un système conforme ou n’exécutait pas les travaux de mise en conformité autorisés par arrêté prefectoral. Du point de vue administratif, l’absence de réaction de la collectivité compétente déclenchait la consignation “entre les mains d’un comptable public [d’]une somme correspondant à l’estimation des travaux à réaliser, laquelle [aurait été] restituée au fur et à mesure de leur exécution (…)” (art. L 216-1-II du Code de l’environnement en vigueur à l’époque). Du point de vue pénal, la combinaison des art. L 216-10 et L 216-12 de ce même code pouvait faire encourir aux collectivités compétentes une amende allant jusqu’à 750 000 euros et une sanction “morale”, celle de procéder à une large diffusion publique (presse, télévision…) de la condamnation de la collectivité.
La législation et la règlementation adoptées ne seront pas suffisantes pour amener les collectrivités compétentes en matière d’assainissement à se mettre en conformité avec le cadre juridique des ERU. Suite à la condamnation de la France de septembre 2004, le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable formule le 19 octobre 2005 une nouvelle circulaire “relative à la mise en conformité des performances du traitement des eaux résiduaires urbaines avec les exigences définies par la directive européenne 91/271/CEE du 21 mai 1991. – Exécution de l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 23 septembre 2004”, qui indique que “de telles situations de non-conformité (…) ne doivent plus perdurer et [qu’] il convient d’assurer la résorption des retards constatés dans les meilleurs délais “. Celle-ci réitère aux préfets la demande de faire appliquer la règlementation et requiert la mise en place d’échéanciers “précis et détaillés” de mise en conformité. La circulaire précise que les plannings “feront l’objet tous les six mois (juin et décembre de chaque année) d’un bilan quant aux résultats atteints et d’une mise à jour (…) afin que la France soit en mesure d’apporter des éléments précis à la Commission européenne relativement à l’avancement des travaux”. L’objectif de la circulaire n’est donc plus tant de protéger l’environnement que d’éviter les conséquences financières lourdes des foudres de la Commission. Pour cela, la circulaire tente de mobiliser l’ensemble des acteurs publics de l’eau (préfets, communes ou EPCI, agences de l’eau mais également les maîtres d’ouvrage…). Elle précise également que la prolongation d’échéanciers sur plusieurs années ne doit plus être tolérée et les agences de l’eau sont incitées à prendre en compte la nécessité de favoriser le versement d’aides aux collectivités faisant preuve de la plus grande célérité.
Qu’en est-il aujourd’hui ? La situation s’est, certes, nettement améliorée entre 2002 et 2006… Pas suffisamment cependant pour dispenser la France d’adopter d’une énième circulaire afin d’assurer la mise en place effective de systèmes de collecte et de traitement conformes aux prescriptions de la directive ERU. Il faut dire que l’entrée en vigueur de la directive-cadre sur l’eau de 2000 renforce les obligations des Etats membres de l’UE en matière de préservation et d’amélioration de l’état écologique des cours d’eau.
La circulaire tente d’accélérer la marche vers la mise en conformité et durcit le ton. Elle constate de façon plutôt lucide qu’une “mise en demeure ne peut être suivie d’une autre mise en demeure ayant le même objet et, eu égard aux nombreux cas de mises en demeure répétées et demeurées infructueuses qui ont été portées à notre connaissance, [que] cet acte n’a de sens et de portée que si l’absence de respect de la mise en demeure est effectivement suivie de la consignation des fonds nécessaires aux travaux à réaliser”. En conséquence, il est demandé aux préfets de procéder automatiquement à la consignation des fonds un mois après l’expiration du délai accordé par la mise en demeure. En dernier ressort, les préfets sont de plus encouragés à utiliser la procédure de travaux d’office prévue par l’art. L 216-1, 2° du Code de l’environnement (3), ce qui n’avait pas été fait dans les circulaires et décrets précédents. En ce qui concerne l’urbanisation de nouveaux secteurs, les préfets sont invités à surveiller les collectivités compétentes afin que celles-ci n’ouvrent pas des secteurs à l’urbanisation lorsque la collecte et le traitement des eaux usées dans ces secteurs ne pourraient être en conformité avec la règlementation ou lorsque l’urbanisation n’est pas doublée d’un planning des ouvrages et travaux nécessaires. Les préfets doivent assurer “un strict contrôle de la légalité” et, le cas échéant, “déférer [les décisions non-conformes qui seraient adoptées par les autorités compétentes] devant le juge administratif compétent”.
Autre nouveauté de taille, la circulaire met en place une conditionnalité de conformité de la collecte et du traitement des eaux usées à l’obtention d’aides financières de la part des agences de l’eau. Cela signifie que les aides financières des agences de l’eau dans le cadre des 9èmes programmes des agences de l’eau (2007-2012), adoptés fin janvier 2007, ne seront versées aux collectivités non-conformes concernées par les échéances de 1998 et 2000 qu’à condition que celles-ci concluent avant le 31 décembre 2007 un contrat avec l’agence compétente. Aux termes de ces contrats, les collectivités s’engagent à respecter un échéancier détaillé des travaux de mise en conformité, lequel “ne devra prendre en compte que les délais liés à des contraintes techniques”. A défaut de signer un tel contrat, les collectivités non-conformes se verront à l’inverse appliquer des conditions d’aides dégressives. Reste à savoir si les aides financières proposées aux collectivités signataires du contrat seront suffisantes pour financer la mise en place des ouvrages requis.
Enfin, la circulaire aborde la question des collectivités non-conformes concernées par l’échéance de 2005, bien que succintement et in fine. Si celles-ci ne sont pas assujetties à la conditionnalité de mise en conformité décrite plus haut, elles sont cependant avisées que dans le cadre des 10èmes programmes des agences de l’eau (2012-2017), les agences ne financeront pas la mise en conformite des systèmes de collecte et de traitement. Il appartient alors aux collectivités concernées d’obtenir avant le 31 décembre 2010 un échéancier des travaux nécessaires.
(1) Pour avoir une idée des montants que peuvent atteindre l’amende et les astreintes pour manquement aux obligations communautaires, il suffit de rappeler que la France a été condamnée en juillet 2005, dans l’affaire dite des “poissons sous taille”, à payer 20 millions d’euros d’amende et plus de 57 millions d’euros d’astreinte par semestre écoulé jusqu’à l’atteinte de la mise en conformité complète, pour une série de manquements à la règlementation européenne sur la pêche qui vise à protéger les ressources halieutiques (CJCE, 12 juillet 2005, Commission c. France).
(2) Ce décret a depuis été modifié et complété par des décrets de 2000, 2005 et 2006.
(3) Article L216-1 : “(…) Si, à l’expiration du délai fixé, il n’a pas été obtempéré à cette injonction, l’autorité administrative peut, par décision motivée et après avoir invité l’intéressé à faire connaître ses observations :
1º L’obliger à consigner entre les mains d’un comptable public une somme correspondant au montant des travaux à réaliser avant une date qu’elle détermine. La somme consignée est restituée à l’exploitant ou au propriétaire au fur et à mesure de l’exécution des travaux. A défaut de réalisation des travaux avant l’échéance fixée par l’autorité administrative, la somme consignée est définitivement acquise à l’Etat afin de régler les dépenses entraînées par l’exécution des travaux en lieu et place de l’intéressé.
Cette somme bénéficie d’un privilège de même rang que celui prévu à l’article 1920 du code général des impôts. Il est procédé à son recouvrement comme en matière de créances de l’Etat étrangères à l’impôt et au domaine. Le comptable peut engager la procédure d’avis à tiers détenteur prévue par l’article L. 263 du livre des procédures fiscales ;
2º Faire procéder d’office, en lieu et place de l’exploitant ou, à défaut, du propriétaire et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites ;
3º Suspendre l’exploitation des installations ou ouvrages, la réalisation des travaux ou l’exercice des activités jusqu’à l’exécution des conditions imposées et prendre les mesures conservatoires nécessaires, aux frais de l’exploitant ou du propriétaire”.