L’appel à l’expert

Par : Gérard BREGIER

Présentation générale

Pour un CHSCT il est important de savoir non seulement dans quels cas recourir à l’intervention d’un expert mais aussi de bien comprendre l’intérêt qu’il y a à faire appel à un expert . Ensuite, le CHSCT doit savoir comment faire appel à un expert.

Les rapports de travail avec l’expert doivent être réfléchis et un cahier des charges oral est aussi utile que de mettre en ?uvre un suivi du travail de l’expert. Tous ces points vont maintenant être détaillés.

Le point juridique sur la question (textes, circulaire, jurisprudence)

L’article L. 236-9 fixe le droit pour le CHSCT de faire appel à un expert. Les articles R. 236-40, R.236-41 et R. 236-42 précisent eux, les conditions d’agrément des experts auxquels le CHSCT peut faire appel.

Les recommandations tactiques et/ou stratégiques

Dans quels cas recourir à l’intervention d’un expert ?

Le Code du Travail nous dit que le « comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé :

  • l° Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ;
  • 2° En cas de projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail, prévu au septième alinéa de l’article L. 236-2 ; l’expertise doit être faite dans le délai d’un mois ; ce délai peut être prolongé pour tenir compte des nécessités de l’expertise ; le délai total ne peut excéder quarante-cinq jours.

Les conditions dans lesquelles les experts mentionnés ci-dessus sont agréés par les ministres chargés du travail et de l’agriculture sont fixées par voie réglementaire.

II. – Dans le cas où le comité d’entreprise ou d’établissement a recours à un expert, en application du quatrième alinéa de l’article L. 434-6, à l’occasion d’un projet important d’introduction de nouvelles technologies, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail doit, s’il souhaite un complément d’expertise sur les conditions de travail, faire appel à cet expert.

III. – Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur.

Si l’employeur entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise, cette contestation est portée devant le président du tribunal de grande instance statuant en urgence.

L’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement. Il lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission.

L’expert est tenu aux obligations de secret et de discrétion tels que définis à l’article L. 236-3 . »

Il y a donc deux cas dans lesquels le CHSCT peut faire appel à l’expertise :

  • En cas de risque grave ;
  • En cas de projet important modifiant les conditions de travail.

Le cas de risque grave.

L’enjeu représenté par l’adjectif «grave», pour qualifier le risque ou l’accident devient maintenant évident :

Il permet d’effectuer les missions d’enquête sans déduire le temps passé à ces enquêtes du quota d’heures ;

Il autorise le recours à l’expertise.

Nous devons rappeler que la doctrine actuelle est de dire «grave» l’accident ayant entraîné une incapacité permanente supérieure à 9 % ; le risque «grave» sera alors celui qui a entraîné ou qui aurait pu entraîner un accident «grave».

L’objectif efficace, pour les représentants du personnel au CHSCT, est donc bien de parvenir à retirer l’aspect subjectif de cette définition du risque grave. La méthode que nous avons déjà indiquée consiste à s’éloigner de la lésion pour s’approcher du danger et de l’exposition à ce danger. C’est tout l’intérêt de construire la liste des facteurs d’accident définis comme révélant un risque grave pour les salariés de l’entreprise.

En effet, dès lors que nous aurons affaire à l’un de ces facteurs sur lesquels il y aura eu accord en réunion de CHSCT, il n’y aura plus matière à discussion ou à interprétation.

Si le CHSCT veut faire référence à un risque grave non révélé par un accident du travail grave, il lui faudra relever méthodiquement (de façon très précise) tous les incidents qui se sont produits dans le passé mettant en cause le facteur d’accident considéré (à ce titre, le point 3 du rapport faisant le bilan de la situation est important à considérer).

Le cas de projet important.

Voici pour mémoire ce que dit le septième alinéa de l’article L. 236-2 du Code du Travail :

«…Le comité est consulté avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail.»

D’après cet article, le CHSCT peut faire appel à un expert lorsqu’il est appelé à donner un avis et à faire des propositions lors, par exemple :

  • d’achat de nouvelles machines,
  • d’implantation de nouvelles installations,
  • de changement de produits,
  • de changement d’horaires,
  • de nouvelle répartition du travail,
  • d’aménagement des locaux,
  • de déménagement,
  • d’introduction d’une nouvelle technologie…

Ce que retient la jurisprudence, pour qualifier «d’importante» la modification, c’est essentiellement la nature de la modification vis-à-vis des conditions de travail, et le nombre de salariés concernés par cette modification par rapport à l’effectif de l’établissement.

Pourquoi faire appel à un expert ?

Le recours à l’expertise par les CHSCT n’est pas encore une pratique courante. D’une part, les représentants du personnel au CHSCT ne voient pas toujours très clairement l’apport que peut produire l’expert pour les faire avancer vers le but qu’ils se sont donnés au CHSCT. L’expérience montre que les experts agréés par le ministère du travail font un travail d’une qualité remarquable. Très souvent, les directions d’entreprise, même si elles étaient au départ hostiles à l’expertise, reconnaissent ensuite l’intérêt des études menées et tiennent compte des propositions formulées.

Dans certains cas, pour les membres du CHSCT, le recours à l’expertise sera le moyen le plus efficace d’agir sur les situations graves et complexes. Il s’agira d’avoir l’éclairage d’experts extérieurs à l’entreprise pour analyser la situation. C’est donc en premier lieu une garantie de compétence et d’objectivité. Il va également s’agir d’aider le CHSCT à formuler des propositions fondées techniquement et qui auront l’assentiment du personnel.

Dans d’autres cas, le recours à l’expert sera l’aide nécessaire pour sortir des situations dans lesquelles les risques, signalés par le CHSCT, perdurent sans trouver de solutions. Le regard neuf de l’expert permet en effet souvent de débloquer des situations anciennes. Là encore, l’aide technique qu’il va apporter aux représentants du personnel pour l’analyse de la situation et l’élaboration de propositions soutenues par le personnel sera souvent déterminante pour la résolution du problème.

Comment faire appel à un expert ?

La décision du recours à un expert doit, comme toutes les décisions du ressort du CHSCT, être prise à la majorité des membres présents (à notre avis, le Président ne doit pas participer au vote, surtout lorsque le recours à l’expert intervient dans le cadre d’une consultation des représentants du personnel sur un projet de modification important). Le vote doit se dérouler de façon formelle. Un extrait de procès-verbal sera utilement réalisé par le secrétaire dès l’issue de la réunion et aussitôt adressé à l’expert afin de lui permettre une action rapide.

Les rapports de travail avec l’expert.

Les experts agréés par le ministère du travail rendent pratiquement toujours un travail de grande qualité technique.

Les rares problèmes, qui peuvent cependant apparaître, viennent en général, soit :

De l’imprécision du cahier des charges. En effet, les représentants du personnel n’ont pas forcément l’expérience pratique pour formuler clairement à l’expert un cahier des charges avant sa désignation. Ils ont trop souvent tendance à laisser l’expert lui-même se charger de définir les contours de sa propre intervention.

Du manque de suivi, par les représentants du personnel, du travail de l’expert. Ce manque de suivi peut générer par la suite des incompréhensions sur le travail fourni par l’expert.

Le cahier des charges.

Le droit de faire intervenir un expert extérieur à l’entreprise est assez important pour soigner sa mise en ?uvre. Les représentants du personnel ont donc clairement intérêt à bien préparer l’intervention de l’expert.

Une première rencontre avec l’expert est indispensable, avant même sa désignation, pour fixer le cahier des charges.

Il va s’agir pour les deux parties, au cours de cette rencontre (représentants du personnel / expert), de se mettre d’accord, au moins oralement, sur les différentes modalités de l’intervention :

L’objectif précis de la mission. Les membres du CHSCT savent pourquoi ils font appel à un expert. Ils ont certainement un objectif précis. Il faut qu’ils l’énoncent clairement à l’expert. Il ne s’agit pas de préjuger ou de vouloir influencer les résultats de l’expertise, mais bien de préciser la raison de l’appel à l’expert. Il est aussi utile de préciser que, pour les propositions, la demande est une aide à la formulation, et surtout pas un travail solitaire de l’expert (il faut préciser la contrainte que nous voulons respecter pour les propositions : le moindre coût pour les salariés et leur adhésion aux propositions).

Les moyens mis en ?uvre. Les représentants du personnel au CHSCT sont les clients de l’expert. Il est donc normal qu’ils s’assurent que l’expert sera à même de mettre en ?uvre tous les moyens éventuellement nécessaires (ressources humaines et matérielles) pour mener à bien l’expertise. Le travail de l’expert ne pouvant être solitaire, il est bon de fixer les moyens du suivi de son action, notamment les temps de rencontre avec les élus pour faire des bilans intermédiaires.

La durée de l’intervention. La durée de l’intervention doit être négociée. Les représentants du personnel doivent estimer au plus juste le nombre des journées d’intervention sur le terrain qui seront nécessaires. Pour arriver à la réalisation de la mission définie, il est souvent utile de demander la réalisation d’un programme d’intervention détaillé par journée. Suivant le cas, les élus pourront alors proposer d’ajouter ou de supprimer certaines journées.

Le prix de l’expertise. Bien sûr, le prix de l’expertise va concerner les représentants du personnel. Ce prix est directement lié à la durée sur le terrain de l’expertise. Les représentants du personnel ont intérêt à obtenir un prix correct par rapport à la mission. En effet, l’employeur ne prend pas part à cette négociation, son seul recours sera juridique. Si le coût est trop onéreux, il ne se privera pas d’un recours devant les tribunaux pour contester l’étendue de la mission et donc, son prix. Autant ne pas favoriser ce recours qui retarderait le déroulement de l’expertise et userait inutilement l’énergie du CHSCT.

Le suivi du travail de l’expert.

Nous l’avons déjà noté, le suivi de l’action par le CHSCT est une des conditions du plein succès de l’expertise. Dans le cahier des charges, nous avons pris la peine de prévoir les moyens de ce suivi. C’est dire si nous le considérons comme important.

En effet, encore une fois, c’est le but que les représentants du personnel se sont fixé au CHSCT – permettre aux salariés d’intervenir pour améliorer leurs conditions de travail – qui doit guider cette action.

Le but du suivi de l’intervention de l’expert sera de favoriser au maximum, la participation des salariés dans l’élaboration des propositions que présentera le CHSCT. Il s’agit donc de garantir, par cette participation, la prise en compte du travail réel et la recherche de l’amélioration effective des conditions de travail.

Source : Site de Gérard BREGIER